3.815 mètres d'altitude, bordés par les majestueux sommets de la cordillère des Andes, plus de 8.000 km carrés d'eau bleue veloutée aux reflets soyeux : le lac Titicaca.
De sublimes plages de sable fin entourées de collines en pente douce recouvertes de forêt tropicale et dominées par un Christ étendant ses bras en signe de rédemption : Rio de Janeiro.
Quel rapport entre ces deux clichés sud-américains, ces deux hauts lieux touristiques, ces deux symboles d'un continent tout entier ?
Les hasards de l'histoire, qui adjugèrent à la plage la plus célèbre du Brésil le nom d'une petite ville de Bolivie.
Du Lac Titicaca à Rio de Janeiro, l'histoire d'un nom mythique - Copacabana
Au commencement était le lac Titicaca
Avec ses eaux poissonneuses et ses berges fertiles, c'est une oasis de vie au cœur de l'altiplano âpre et aride.
Un présent que la nature offrit aux hommes, considéré comme un don des Dieux par les premiers peuples aymaras qui l'occupèrent, et en firent un lieu sacré autant que le foyer de leur civilisation.
Culture Chiripa au sud, culture Pucará au nord, plus tard absorbées par la grande civilisation de Tiwanaku, dont la domination (basée sur le religieux plus que sur le militaire) s'étend jusqu'au nord du Chili entre le IIe siècle avant JC et le Xe siècle.
Après sa mystérieuse extinction (une sécheresse exceptionnelle qui met à mal le système de troc ? un coup d'Etat ? un cataclysme ?), le vaste territoire de l'Etat disloqué est occupé par des seigneuries, petites communautés éparses et rivales.
Est-ce de l'une d'elles qu'émergent les Incas ? Ou bien viennent-ils d'Amazonie ?
Mystère toujours, sauf pour ce qui relève de la légende, bien établie : selon elle, c'est Viracocha, le dieu du soleil, qui donne vie au fondateur de la dynastie inca, Manco Capac, et à sa soeur, Mama Ocllo, sur une île du lac Titicaca, "l'île du soleil".
Tiens tiens, juste au beau milieu du Saint des saints aymara ...
On voit clairement dans ce mythe la volonté d'incorporer l'ancien au nouveau, de s'appuyer sur les croyances des uns pour imposer l'ordre des autres.
La prise de pouvoir des guerriers incas est foudroyante, et en quelques décennies ils conquièrent un espace immense sur lequel s'étend l'un des plus fabuleux empires de l'Amérique précolombienne.
Il durera à peine plus de trois siècles, jusqu'à l'arrivée de nouveaux conquérants, venus d'un autre monde, couverts d'acier, équipés d'armes prodigieuses et juchés sur de terrifiantes montures. On connaît assez bien la suite de cette histoire tragique.
Un Ordre Nouveau
Cette fois encore, il s'agit pour les envahisseurs d'assujettir les vaincus. Et cette fois encore, le religieux joue un rôle fondamental.
On détruit les temples de pierre pour construire des églises, on alphabétise et on catéchise ceux qu'on ne massacre pas ou qui ne meurent pas de la grippe et de la variole, et on rebaptise les lieux.
Le lac Titicaca, par sa puissance symbolique, est évidemment visé.
Sur sa berge sud, une petite bourgade a été fondée par les Incas pour accueillir les pèlerins qui accourent en nombre pour se rendre sur l'île du soleil, à quelques encablures de là.
Sur l'étymologie du lieu, les sources divergent, nous ne retiendrons que les deux hypothèses les plus répandues (qui sont aussi les plus crédibles).
Pour les uns, le village se nommerait Kota Kahuana, ce qui en aymara signifie "vue sur le lac".
Pour les autres, la bourgade s'appellerait Kotakawana, du nom de la déesse de la fécondité, équivalente à l'Aphrodite grecque ou à la Vénus romaine.
Cette divinité androgyne représentée avec un corps humain et une queue de poisson vivrait dans les eaux du lac Titicaca, accompagnée d'une cohorte de sirènes, les Umaantus.
Kota Kahuana, Kotakawana ... le nom est latinisé, la bourgade se nommera désormais Copacabana.
L'évangélisation des autochtones va bon train. Sous l'impulsion des Dominicains, en charge de la paroisse, le culte de la Vierge se popularise.
A la fin du XVIe siècle, la médiocrité des récoltes amène une partie de la population à solliciter l'intercession de la Vierge, et c'est un pêcheur, Francisco Tito Yupanki, qui sculpte une vierge noire aux traits indigènes qui prend place dans l'église locale.
Rapidement, on lui attribue une série de miracles, et sa réputation se répand à travers tout le continent.
Copacabana reste un lieu de pèlerinage, mais on y vient désormais pour vénérer cette vierge miraculeuse *.
De la Bolivie au Brésil
A près de 3.000 kilomètres de là, les Portugais consolident leur emprise sur le Brésil. Dès le mois de janvier 1502, ils ont découvert la baie de Guanabara qu'ils confondent avec l'embouchure d'un fleuve. Tout naturellement, ils nomment l'endroit Rio de Janeiro, "fleuve de janvier".
La ville se développe autour du port, abrité dans la baie. A un jet de pierre, l'océan Atlantique baigne une succession de longues plages de sable blanc.
Elles ont été baptisées par les Indiens Tupinambas, qui occupaient la région à l'arrivée des Européens.
Il y a Ipanema, "lac malodorant", du fait de la présence de marécages à proximité de la plage.
Un peu plus loin, Sacopenapã, "chemin des socós" (une variété d'oiseaux).
C'est cette plage qui deviendra Copacabana. Comment ? Là aussi il existe plusieurs hypothèses.
La plus romanesque remonte à 1754. Alors qu'il est en perdition au large des côtes brésiliennes, un moine de Copacabana aurait fait la promesse, s'il survivait, de donner à l'endroit où il s'échouerait le nom de celui où il résidait.
Moins imagée, une autre version attribue le changement de nom à la construction sur cette plage d'une chapelle dédiée à la Vierge de Copacabana par des marchands d'or boliviens et péruviens. Avec le temps, on ne désigna plus la plage et son quartier que par ce nom.
On retrouve ailleurs le nom de Copacabana : c'est celui d'un village de Colombie, et d'une localité en Australie.
C'est aussi celui d'une célèbre boite de nuit de New York et d'un hôtel de La Havane qui présente une revue de danseuses, et qui inspirèrent à Barry Manilow une chanson qui eut un grand succès, plus tard reprise en Français par Line Renaud.
Rien à voir donc avec le Copacabana sud-américain, qui fut néanmoins aussi mis en musique, notamment par le groupe Maya Andina, sur un air de Morenada, l'un des styles folkloriques toujours très populaires en Bolivie.
TERRA BOLIVIA