Un Zodiacnous charge pour la traversée d’Isfjord : 12 trekkeurs, un guide et une considérable masse de matériel : tentes, carburant, nourriture acheminée de France et nos sacs personnels. L’île est déserte, si l’on excepte en été 150 à 200 pêcheurs. Ni village, ni refuge, aucun sentier. Le Svalbard a tout d’une terre intacte telle qu’un lecteur des expéditions de Nansen en rêve.
Notre premier campement, à Diabasoden, est dressé sur la grève, entre océan, falaises et toundra. Montage et démontage des tentes, corvée d’eau : l’eau douce provient des nombreuses rivières de fonte- cuisine, corvée de vaisselle, les journées sont bien remplies. Or, en ce mois de juillet, il faut tenir compte d’un paramètre : le jour dure 24 heures, c’est à peine si le soleil descend un peu derrière les montagnes pendant 3 ou 4 heures, faisant chuter d’un coup la température de 14-15° à 6 ou 7°.
Pour structurer le temps en l’absence de rythme circadien, le guide établit un point de repère artificiel : après le dîner il met le réveil de la tente-mess à minuit. Dès lors nous avons 10 heures pour dormir et veiller à tour de rôle.... car l’ours constitue une menace réelle. Pour l’animal affamé notre présence est une nourriture potentielle.
Un jour le guide découvre des empreintes non loin du camp, derrière une butte. L’animal nous a-t-il guettés ? Ou bien dans ce pays où il ne pleut pas, s’agit-il de traces anciennes ? Chacun de nous assure une heure de garde par cycle, armé d’un pistolet et d’une fusée d’alarme, avec, aussi, un téléphone satellitaire et une balise automatique.
Ce tour de garde possède pour moi un charme magique : l’immensité, la solitude, le silence exercent un véritable envoûtement. Seul être humain éveillé, j’observe avec une acuité jouissive ce monde autour de moi.
Les animaux sauvages sont abondants : au large une baleine et un banc de belugas, un morse longeant la grève, un phoque sur un glaçon, sur terre un renard curieux. Les rennes ne sont guère craintifs, pâturant le lichen qui est leur seule nourriture. A marée basse on suit la plage pour observer les milliers d’oiseaux, guillemots et macareux, nichant dans les falaises. Les mouettes grises ou blanches sillonnent le bord de l’océan et se posent en groupes sur de petites éminences.
Quand nous gagnons les crêtes un cormoran nous barre courageusement le passage pour défendre son territoire et, comme nous continuons d’avancer, il s’envole et tourne sur nos têtes en criant. Tout en bas, notre camp apparaît minuscule et fragile.