J’avais pris goût à imaginer ce que je trouverai au Cambodge, ce que j’y découvrirai où même ce que je pourrai ressentir à l’approche de ce pays que l’on a tendance à trop oublier, mais en réalité j’étais encore loin, très loin de mes peines…
Si l’on m’avait dit qu’au plus profond de la jungle, où la végétation luxuriante envahit chaque parcelle de terre , où les lianes ondulantes s’entremêlent pour créer des nœuds indestructibles, et où la mousse sombre et mystérieuse s’infiltre dans les endroits les plus inimaginables, oui, si l’on m’avait dit qu’à travers cet immense fouillis vivace je tomberais sur l’un des plus beaux joyaux que peut nous offrir le pays Khmer, je ne l’aurai jamais imaginé…et pourtant c’est bien la réalité.
Eveil à Banteay Srei
Le « petit joyau de l'art angkorien »
Banteay Srei constitue un petit bijou de de gré rose, situé à une vingtaine de kilomètres du centre de la magistrale cité d’Angkor, bâtit à partir du IXe siècle par les « dieux-rois » qui se sont relayés sur le trône au cours des siècles pour nous laisser un des héritages culturels les plus majestueux connu au monde.
Le « petit joyau de l'art angkorien », comme on le surnomme, est un temple dédié à Shiva, ce grand dieu de la trinité hindoue dont la mission perpétuelle est de scander le cycle du monde avec sa danse de destruction. Taillé dans une pierre teintée de rose, ce petit temple éloigné possède des sculptures d'une finesse exceptionnelle qu’il serait dommage de rater lors d’un voyage au Cambodge.
Je suppose que, du Banteay Srei dont le nom signifie « citadelle des femmes », personne n’avait eu vent jusqu’à ce jour. Contrairement à l’ensemble des temples ornant la cité d’Angkor, celui-ci ne fut pas l’objet d’une commande royale mais réellement édifié par un brahmane du nom de Yajnavarâha qui fut l’un des conseillers du roi Rajendravaman (944-968) et qui, par la suite, devint le gourou du roi Jayavarman V, un autre grand bâtisseur d’Angkor. Les sculptures divines qui ornent aujourd’hui le temple furent rajoutées peu avant la mort du roi régnant sur la cité au Xe siècle.
Le temple, dominé par ses trois pyramides encadrées par deux impressionnantes bibliothèques, est un ensemble quadrilatère disposé en trois enceintes concentriques. On le rejoint par une grande chaussée terreuse qui prend fin au pied du gopura extérieur. La porte d’entrée est ornée de motifs raffinés notamment d’un naga tricéphale extrêmement bien conservé : il s’agit d’un makara crachant un naga à cinq têtes.
Le fronton montre également le dieu Indra chevauchant son éléphant tricéphale du nom de « Airâvata » dans la mythologie hindoue. Les contours de ce dessin sont embellis d’une dentelle de pierre courbée et sensuelle d’une extrême finesse.
On déambule parmi les démons
Après avoir franchi le gopura, une longue allée bordée de 32 bornes de gré se prolonge dans le temple. Sur chaque extrémité se trouve une salle dédiée, à gauche au roi Râjendravarman et à droite à son gourou Yajnavarâha, unique bâtisseur du temple.
Quelques vestiges se cachent au-delà des bornes de gré mais la végétation les a presque tous engloutis. L’allée continue au niveau de la « salle longue », dont la signification demeure encore un mystère...La gravure en son centre illustre le dieu hindou Vishnou sous sa forme animale de Narasimha, « l’homme lion » déchirant la poitrine du roi des asuras Hiranyakaçipu, les démons malfaiteurs.
A ne surtoit pas manquer dans votre exploration des temples d'Angkor
Plus loin, au niveau du troisième gopura, l’encadrement des portes est orné d’innombrables lignes de sanskrit dont les caractères empruntés à la langue indienne s’enchainent très souplement pour former une enfilade de crochets et de boucles. Après avoir franchi le premier pas de la porte d’entrée, enjambé linteaux et blocs de gré écroulés, le temple apparaît enfin aux yeux du visiteur, si envoutant avec sa couleur safranée reflétée par la lumière du soleil. Sa petitesse est rapidement effacée par la finesse de ses tours pyramidales effilées au sommet. Selon une légende qui court en ce lieu, le temple aurait entièrement été façonné par des femmes dont les mains fragiles leur permettaient d’atteindre une précision aussi délicate, beaucoup trop difficile pour les mains rugueuses d’un Homme en tout cas…
Les linteaux ornant l’encadrement des portes flanquées de colonnes de gré roses, sont d’une grâce inégalée et les gravures finement ciselées. Malheureusement l’enceinte centrale a été fermée au public suite à des dégradations trop prononcées mais, de loin, on peut toutefois distinguer, entre les tours rosées, les deux singes qui montent la garde d’un visage impassible…
Le plus impressionnant reste encore à découvrir; Apsaras aux contours sensuels et scènes de Ramayana se perdent sur les linteaux des deux bibliothèques minutieusement ciselés. Sur l’un d’eux Shiva chevauche Nandin en compagnie de sa femme Uma dont le visage a été détruit. La bibliothèque sud revête d’impressionnantes gravures des scènes de la bataille de Ramayana, épopée mythique essentielle dans la religion hindoue. Sur l’une d’elle, le démon Ravana à dix têtes qui a enlevé l‘épouse de Rama, Sita, est représenté secouant le mont Kailâsa devant les visages impassibles de Shiva et Uma. Sur le linteau de la seconde bibliothèque, le roi Indra sur son éléphant tricéphale Araivâta tente d’éteindre le feu que le dieu Agni a allumé sur le mont Khandava pour tuer son ennemi le naga Takshaka. Il s’agit d’une illustre scène de la légende de Mahâbhârata . Mais l’issue de cette histoire est fort négative pour Indra car son frère Bâlârma aidé de Krishna contrent le rideau de pluie par une enfilade de flèches. Enfin, on peut reconnaitre le dieu Krishna, chef de l’armée des singes envoyé par Rama, sauver la reine Sita, son épouse enlevée …
L’enceinte extérieure du temple est bordée par un lac qui incarne sans doute l’océan sacré entourant le Mont Meru. Sa surface miroitante parsemée de fleurs de nénuphars mauves et roses reflète le gré rose de ce magnifique temple. Il est vrai que les scènes représentées sur les linteaux le placent au plus haut degré de splendeur mais l’ambiguïté est de passer les ornements hindous, et de non plus découvrir le temple dans ses détails, mais de l’admirer dans son ensemble magistral.
C’est à cet instant que l’on peut comprendre que son charme demeure certes dans son infime précision, mais avant tout dans son silence, sa magie, sa simplicité…
Il faut alors s’asseoir et prendre le temps de contempler, se laisser envouter par la magie et le mystère, sans bruit, sans autre artifice que ses yeux et ses pensées afin de ressentir la même émotion que les explorateurs quelques années plus tôt, enfin respirer une bonne bouffée d’air mythique…le plus dur est sans doute de jeter un ultime regard vers ce joyau khmer, en se disant que l’on ne le reverra probablement plus jamais…
LE VOYAGE AUTREMENT.COM