Un hôtel «mille étoiles» dans le Nord du Bénin? Cette région de montagnes verdoyantes, incluse dans la chaîne de l’Atacora de la région ouest-africaine, nous réserve bien des surprises. Le village de Koussoucoingou, communément appelé Koussou, est particulièrement intéressant: il allie vie quotidienne africaine au rythme des saisons, architecture traditionnelle exceptionnelle et… modernité.
C’est dans ce village proche de Boukombé, où se déroule le marché principal local, que l’on rencontre l’un des modèles les plus connus des Tata. Que désigne ce nom?
Le Tata ou Tatchienta est un habitat unique au monde, présent seulement dans le Nord-Ouest du Bénin et dans le Togo voisin. Il en existe 5 modèles, mais la spécialité de Koussou est le Tata Otammari.
Cette construction est typique des peuples Bètammaribè (pluriel d’Otammari) du Bénin, un terme qui signifie «les bons maçons» alors que au-delà de la frontière togolaise, l’ethnie frère se prénomme Tamberma. Si les premiers sont estimés à cent mille âmes, les seconds ne dépasseraient pas les vingt mille.
Opposées à toute domination, ces populations ont quitté le Burkina Faso entre le XVIe et le XVIIIe siècle pour s’installer dans les montagnes de l’Atacora. Fiers guerriers, mais aussi chasseurs, agriculteurs et petits éleveurs, ils ont même résisté à la colonisation française.
Les Tata, des Châteaux Forts… en Banco
Une Portée de Flèche
Les Bètammaribè se distinguent par le fait que leurs Tata ne sont pas regroupés au sein du village mais dispersés dans une végétation qui change de couleur au fil des saisons, verte en novembre, jaune en avril. La légende raconte que la distance qui les sépare est celle de la portée des flèches tirées depuis les toits en terrasses.
Un patrimoine exceptionnel
Avec ses tourelles, le Tata ressemble à un château fortifié, mais… en banco ou terre crue. Il permet à ses habitants non seulement de se protéger contre les ennemis mais aussi contre les animaux sauvages. S’y ajoutent des normes sécuritaires (éviter les conflits de voisinage) mais aussi stratégiques (optimiser l’occupation des terres en zone vallonnée.
Le Tata possède aussi une valeur économique car il abrite l’ensemble de la famille et ses richesses, vaches, cochons, chèvres, moutons, poules, pintades… et diverses variétés de céréales. Certains Tata sont utilisés uniquement pour les cérémonies, notamment d’initiation, très vivantes encore dans cette région du pays.
Patrimoine culturel hautement symbolique, le Tata est orienté Ouest-Est, c’est-à-dire qu’il fait face au bonheur et tourne le dos au malheur. Un trait optimiste! Entouré par des géants tels que les baobabs et plus récemment les manguiers, il est conçu comme un être vivant, partagé entre ombre et lumière, divisé entre les sexes : le Nord est consacré aux femmes et le Sud aux hommes
Autel des Divinités
Approchons-nous du Tata, dont les deux étages dominent généralement des cultures de tabac, de maïs, de légumes… Son entrée est entourée de petits autels dédiés aux fétiches protecteurs de la famille et voués au culte d’une divinité collective ou individualisée.
Les crânes, les ossements d’animaux, les plumes ou les épis de maïs… qui ornent le seuil de la maison sont souvent recouverts de liquides sacrificiels. Très basse, la porte force les arrivants à baisser un peu la tête. Elle a aussi une forme particulière.
Le rez-de-chaussée est particulièrement sombre. On y trouve des instruments agraires et de musique, une meule pour les grains de mil ou de maïs, des provisions, des condiments, ainsi qu’un abri pour les animaux domestiques. Non loin de l’escalier qui mène à l’étage trône le foyer dont une fumée pleine de mystères envahit toute l’atmosphère.
Pour leur confort et eu égard à leur sagesse, les plus vieux séjournent dans le bas de la maison. La vie dans le Tata est réglée par la nature: la saison sèche est consacrée à leur construction, leur restauration ou encore à la chasse, le reste du temps aux cultures.
Montons doucement, pour ne pas nous cogner. Sur la terrasse se découvre une cuisine… en plein air. Composé de trois pierres ou blocs de terre, le foyer permet de préparer le repas ou de se réchauffer en période d’harmattan, un vent froid et sec venant du Sahel qui souffle sur l’Afrique de l’Ouest, en général de novembre à février.
Une Terrasse Intelligente
La terrasse est intelligemment organisée: son sol «dallé» comprend des orifices pour l'aération et l'évacuation de l’eau de pluie, qui est récupérée dans une jarre pour l’usage quotidien. Les chambres comme les greniers sont constitués de tourelles coniques coiffées de paille et reliées par un mur circulaire percé de lunettes (trous) pour voir l’ennemi sans être vu et lui envoyer une volée de flèches si besoin est. Plus maintenant, évidemment.
Le Tata compte en général trois petites chambres, dont les portes, minuscules à tel point qu’il faut ramper pour y pénétrer, ouvrent toutes sur la terrasse. Il se caractérise aussi par deux greniers auxquels on accède par une échelle locale fabriquée avec un tronc d'arbre qui se termine en V pour mieux adhérer au mur. Juste comme un lance-pierre.
Le grenier «masculin» renferme les récoltes de riz, de mil, de sorgho… dont une part est réservée à la consommation et l’autre aux futures semailles. Le grenier «féminin» contient des haricots, des pois, des fruits, des arachides… ainsi que des plantes médicinales. Pour y puiser, il suffit de soulever le chapeau de paille qui le surmonte.
De Terre et d’Eau
Nous vous parlions d’un château fortifié… en banco. Pour construire un Tata, il faut de la terre argileuse, de l’eau, du bois, des feuilles qui écartent les insectes nuisibles et du beurre de karité. La dalle qui forme la terrasse est composée de terre, de couches de feuilles de caïlcédrat et de traverses en bois, de préférence l’anogeissus leocarpus ou le karité, réputés pour leur solidité et leur résistance aux insectes du bois.
Organisés en communautés, les Bètammaribè mobilisent leurs voisins pour construire un nouvel édifice. Ils y travaillent tous les jours sauf celui du marché, qui a lieu tous les cinq jours. Il faut dire que l’édification d’un Tata dure trois mois et parfois toute la saison sèche.
Alors que les hommes assurent le gros œuvre, les enfants vont chercher de l’eau au marigot et les femmes fabriquent la dalle séparant le rez-de-chaussée de l’étage. C’est à ces dernières qu’appartient aussi la tâche d’enduire l’ensemble de la bâtisse d’une terre riche en argile, mélangée à de la bouse de vache, qu’elles recouvrent d’une couche à base d’écorces de fruits du néré ou de beurre de karité, des solutions qui consolident et imperméabilisent l’enduit.
Scarifications
La décoration du Tata diffère selon les ethnies. Du côté de Koussoucoingou, ce sont de véritables œuvres d’art qui reproduisent les scarifications de l’ethnie à laquelle la famille appartient. Les mêmes «cicatrices» sont réalisées sur la figure et le corps des habitants de la maison. Elles constituent, dans la tradition, une sorte de carte d’identité.
Si les murs sont entretenus, l’édifice peut résister de cinq à quinze ans, mais la paille des toits doit être remplacée tous les trois ans. Son maintien exige énergie, temps et argent, des qualités par ailleurs indispensables pour assurer au quotidien la survie de la famille.
Le Tata est ainsi souvent remplacé par une construction plus moderne mais pas toujours aussi adaptée à son environnement. Au Togo, ces habitations originales sont inscrites depuis 2004 sur la liste des sites classés du patrimoine mondial de l’UNESCO en tant que «paysage culturel vivant».
A Koussoucoingou, des initiatives ont été prises pour conserver ce patrimoine culturel et naturel exceptionnel. L’ONG Eco-Bénin, pionnière d’un tourisme écologique et solidaire, a accompagné l’association locale, La Perle de l’Atacora, dans le développement des services nécessaires à l’accueil, le guidage, la restauration et le logement des voyageurs. La nuit en plein air, perché sur la terrasse d’un Tata, vaut bien un hôtel «mille étoiles»!
Les Tata sont ainsi remarquables tant sur le plan historique, esthétique, technique et écologique qu’économique, social et culturel. A la suite de cette initiative spécifique à Koussou, les visiteurs bénéficient d’une expérience exceptionnelle et les villageois d’un complément de revenus.
Sources
- Hermione Boko-Koudérin, Socio-Anthropologue, étude de cas sur La Perle de l’Atacora à Koussoukoingou intitulée «Société civile et gestion du patrimoine culturel au Bénin» pour la Conférence internationale «Vivre avec le patrimoine mondial en Afrique» (Johannesburg - 26-29 septembre 2012).
- Marcus Boni Teiga, ancien directeur de l'hebdomadaire Le Bénin, grand reporter à La Gazette du Golfe à Cotonou, co-auteur du blog Echos du Bénin sur Slate Afrique, dans ses divers articles rédigés actuellement en freelance.
- Odile Puren, passionnée par les cultures africaines, notamment celles de son pays, le Bénin. Après des études à Paris III, elle développe des collaborations avec La Revue de Téhéran, mensuel culturel iranien en langue française.
CATHERINE PIRET POUR LE VOYAGE AUTREMENT.COM